L’action de l’Association Française de Sociologie contre les violences sexistes : interview

Entretien avec le groupe « VSS » (lutter contre les violences sexistes et sexuelles) de l’Association française de sociologie (AFS), avec Muriel Darmon (présidente de l’AFS de 2017 à 2021) et avec Cédric Lomba (président de l’AFS depuis 2021).

Pourquoi l’Association française de sociologie (AFS) s’est-elle dotée d’une charte pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles (disponible ici : https://afs-socio.fr/wp-content/uploads/2021/05/charte_VSS.pdf) ?

Au sein du Comité exécutif (CE) de l’Association française de sociologie, nous avons décidé de mettre en place un groupe de travail « Lutter contre les violences sexistes et sexuelles » en février 2020. Cela a fait suite à des sollicitations que nous avions reçues, de la part de plusieurs adhérentes, au sujet de comportements problématiques lors d’évènements organisés dans le cadre de l’association, en particulier lors des congrès biennaux où de tels comportements étaient régulièrement à déplorer. La mise en place de ce groupe a aussi été la conséquence d’une réflexion de longue date au sein de l’association. De fait, la question des violences sexistes et sexuelles, comme celle des autres violences, est une préoccupation vive de l’AFS : nous considérons que la lutte contre les violences relève aussi des questions professionnelles dont nous devons nous saisir collectivement. Il avait existé au sein du CE un groupe de travail « défense des droits », mais nous avons ressenti le besoin d’un groupe et d’une réflexion spécifiques sur la question des violences sexistes et sexuelles.

Ce sont principalement des femmes et des jeunes collègues ayant travaillé sur le genre qui s’y sont investi·e·s. Cependant, nous avons aussi tenu à élargir le groupe en représentant plusieurs points de vue, plusieurs types de statuts, plusieurs champs de la recherche en sociologie. La question des violences sexistes et sexuelles est certes une question scientifique pour certain·e·s d’entre nous, mais c’est avant tout une question professionnelle dont nous devons tou·te·s nous saisir. Comme d’autres associations professionnelles au niveau international, nous avons réfléchi ensemble au rôle que pouvait avoir l’AFS, en tant qu’association, sur les dimensions à la fois professionnelles et politiques des violences sexistes et sexuelles.

L’un de nos premiers objectifs a été de réfléchir à la façon dont faire en sorte que les évènements de l’association soient des moments professionnels où la sécurité des adhérent·e·s soit assurée. Nous avons alors proposé pour le congrès de juillet 2021 une charte visant à fournir un environnement sûr et accueillant pour tou·te·s les participant·e·s. Les adhérent·e·s devaient lire cette charte et la valider pour pouvoir s’inscrire au congrès. Aujourd’hui, nous demandons à nos adhérent·e·s, via le règlement intérieur de notre association, de respecter l’ensemble de ces règles qui visent à mieux prendre en compte ces dimensions dans les différents évènements qui se déroulent dans le cadre de l’AFS (journée d’études, réunions des réseaux thématiques ou du CE, etc.).

 

Lors du congrès de l’AFS de Lille en juillet 2021, une session plénière sur “Lutter contre les VSS” était inscrite au programme. Pourquoi l’AFS avait-elle vocation à être pionnière dans ce domaine ?

Sans nécessairement que l’AFS ait eu vocation à être pionnière sur cette question, il nous a semblé qu’il était nécessaire que les associations professionnelles s’interrogent et agissent concrètement sur les violences sexistes et sexuelles. Or, les congrès sont des moments privilégiés pour la réflexivité de la profession, en offrant des espaces d’échange collectifs sur différentes dimensions de l’activité. C’est dans cette perspective que nous avons organisé lors du congrès de juillet 2021 cette conférence-formation sur la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche. Nous avions invité Isabelle Clair, une sociologue spécialiste des questions de sexualité et de genre, ainsi que le Clasches, le Collectif de lutte contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur. Nous souhaitions proposer un espace de formation et de sensibilisation à l’ensemble des adhérent·e·s de l’AFS. Cette séance a suscité beaucoup d’échanges et nous avons reçu des retours très positifs, en particulier de la part de nos plus jeunes collègues.

 

Les initiatives de l’AFS peuvent être reprises par des sociétés d’autres domaines scientifiques. Est-ce que la charte concerne uniquement les congrès/colloques en présentiel ? Auriez-vous des conseils/suggestions à d’autres sociétés savantes qui voudraient suivre votre exemple ?

La charte s’applique à tous les événements qui ont lieu dans le cadre de notre association. Elle peut donc concerner des événements en présentiel comme des événements en distanciel, qui donnent aussi parfois lieu à des violences sexistes et sexuelles. Au sein de l’AFS, nous n’avons bien sûr ni la vocation, ni les moyens de réguler l’ensemble de la vie professionnelle des sociologues sur cette question. Pour autant, en tant qu’association professionnelle, nous avons la possibilité d’insister sur les valeurs de notre collectif, ainsi que sur ce que nous considérons comme particulièrement intolérable dans les évènements qui nous réunissent. Notre charte n’est dès lors pas spécifique à la sociologie et peut circuler et être reprise, à la fois par d’autres sociétés savantes, mais aussi dans d’autres espaces et moments professionnels : laboratoires, UFR, etc.

 

Quelles réactions ces initiatives ont-elles provoquées, quelles suites et prolongements l’Association française de sociologie envisage-t-elle ?

Dans l’ensemble, nous avons eu des retours très positifs de la part de nos collègues. Elles et ils semblaient satisfait·e·s que la lutte contre les violences sexistes et sexuelles soit clairement affichée comme un enjeu professionnel par une société savante visible et reconnue par la discipline.

Nous avons également eu quelques très rares retours plus dubitatifs voire critiques, notamment de collègues ne comprenant pas que nous formalisions ce type de questions.

Enfin, nous avons eu d’autres retours, ou plutôt des demandes de collègues en prise avec les questions très compliquées et parfois bouleversantes que soulèvent les violences sexistes et sexuelles dans le monde de l’enseignement supérieur et la recherche, et nous demandant des conseils sur des cas particuliers ou en général. Dans ce cas, nous avons insisté à nouveau sur notre soutien, mais aussi sur son caractère limité, en ce sens où nous pouvons difficilement nous prononcer sur ce qui se passe en dehors des événements organisés par l’association. Nous avons alors conseillé à ces collègues de prendre contact avec les associations spécialisées, comme le Clasches, ou l’AVFT. En revanche, lorsque les demandes portaient sur l’organisation d’évènements scientifiques et la façon dont y intégrer la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, nous avons pu partager notre expérience.

Aujourd’hui, nous continuons notre travail sur cette question dans différentes directions. D’abord, nous veillons à diffuser notre charte afin qu’elle soit appliquée dans l’ensemble des évènements qui se déroulent dans le cadre de l’AFS. Ensuite, nous préparons un numéro de la revue de l’association Socio-logos qui sera consacré à la question des violences sexistes et sexuelles dans le cadre professionnel. Enfin, nous élargissons nos réflexions à d’autres questionnements qui soulèvent des enjeux professionnels et politiques tout aussi importants : harcèlement, discriminations… Le groupe de travail de lutte contre les violences sexistes et sexuelles s’est élargi aux enjeux d’éthique et bénéficie aujourd’hui d’un·e représentant·e permanent·e au sein du bureau de l’association. Là aussi, il s’agit d’afficher clairement l’importance de ces enjeux à nos yeux et leur dimension professionnelle au centre des questions autour desquelles notre association est construite.

Propos recueillis le 8 mars 2022

 

Voir aussi dans «Prévenir, former et sensibiliser»